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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 10:47

Face à l’émoi causé par la mort d’Armand Tungulu dans les locaux de la garde présidentielle congolaise et en regardant une photo de sa veuve et de ses orphelins éplorés sur un blog, j’ai craqué, pour utiliser une expression courante. Au point de manquer la force de rédiger un article sur cette tragédie, peut-être aussi par peur de ne pas contenir mon émotion et de me lancer plus dans l’invective et l’anathème que dans une analys...e sereine. Cependant, le silence serait une capitulation morale et intellectuelle même si, je le consens, le journalisme n’a pas à être moral mais simplement juste, impartial, éthique et dépassionné. C’est ainsi que je fais ici le choix de m’adresser directement, sous forme d’une simple lettre, à Joseph Kabila, comme je l’aurais fait avec n’importe quel Congolais, un parent, un petit-frère, un contemporain… membre de la grande famille congolaise. Plutôt qu’au chef de l’État c’est à l’homme que j’ai choisi de parler et en utilisant délibérément un ton familier notamment le tutoiement.

 

Joseph,

 

Je voudrais commencer par te dire que je ne crois pas du tout à la thèse du suicide d’Armand Tungulu et je trouve même ce « mensonge » très stupide.

 

Tuer est déjà inacceptable pour en rajouter en essayant de profaner la mémoire des victimes par le scénario d’une orgie sexuelle pour Floribert Chebeya et pour Armand Tungulu par celui d’un suicide avec tantôt un fil d’oreiller selon le procureur général de la République et depuis peu à l’aide plutôt d’une nappe de fortune selon Lambert Mende le ministre de la communication. Sans oublier les déclarations précipitées de Jean-Marie Kassamba, le monsieur communication des Cinq chantiers. Le pauvre Lambert Mende qui, au sujet d’un autre dossier traité dans l’opacité par tes services spéciaux, a annoncé l’incarcération de Faustin Munene avant de se démentir le lendemain.

 

Avec le jet de pierre sur ton véhicule par Armand Tungulu, tu as loupé une occasion inouïe de montrer de la grandeur aux yeux du monde entier. Après son interpellation et après s’être rendu compte rapidement qu’il s’agissait plus d’un outrage que d’un attentat, si tes services avaient confié l’intéressé à la justice pour être jugé normalement, tu aurais montré que tu savais prendre de la hauteur vis-à-vis d’une certaine forme d’opposition inacceptable dans la forme et dans certains de ses propos diffamatoires tenus à profusion en Europe.

 

L’opposition radicale, et parfois brutale, qui agit principalement à Bruxelles et Londres s’est essoufflée et vivotait, voilà que ta garde présidentielle vient de la revigorer avec cette bavure. Bien plus, même parmi tes fervents soutiens au sein de la diaspora, cette mort a créé un vrai malaise, voire l’abattement chez certains.

 

Évidemment, tu peux toujours dire que tu n’avais donné aucune consigne pour qu’on fasse du mal à Armand Tungulu, mais il reste que, depuis que ce drame est survenu, tu t’es abstenu de le déplorer publiquement. C’est pourtant le minimum que sa famille et la nation étaient en droit d’attendre de toi.

 

J’ai toujours, en effet, pensé qu’il y avait un côté « père de la nation, père de famille » dans les attributs du chef de l’État. La tragédie Tungulu, telle qu’elle est vécue par sa veuve et ses orphelins, aurait dû te briser le cœur. Et si c’était le cas, le montrer et l’exprimer t’auraient grandi. Je ne comprends pas que tu n’aies jamais pris ton téléphone pour appeler personnellement la veuve afin de lui dire que, malgré l’outrage de son mari, tu regrettais profondément sa mort et que tu avais de la peine pour ses enfants qui, toute leur vie, vont se dire : « Kabila a tué notre papa ». Si tu n’avais pas la force de le faire par peur d’être accusé du cynisme, pourquoi n’as-tu jamais dépêché l’ambassadeur Mova Sakany ou utilisé d’autres voies pour exprimer des regrets, sincères bien sûrs !

http://www.congoindependant.com/Veuve%20Chebeya.jpg

Soit je suis trop naïf, soit je méconnais ce qu’est la politique : je continue, en effet, à penser que tu n’as ni souhaité, ni commandité le meurtre de Floribert Chebeya ni celui d’Armand Tungulu. Je ne vois pas logiquement quel bénéfice tu en aurais tiré. N’empêche, je te considère moralement et politiquement responsable de ces crimes car ce sont des services à tes ordres qui ont commis ces crimes.

 

Joseph,

 

Sincèrement, je crains que tu ne sois devenu l’otage de certains de tes proches qui, pour préserver leur enrichissement personnel fulgurant, ont besoin d’un pouvoir qui se raidit. Sauf que, comme ce fut le cas avec Mobutu, si ça tourne mal, eux pourront toujours se refaire une certaine virginité comme c’est le cas avec certains qui vivent aujourd’hui paisiblement à Kinshasa. Pendant ce temps, la famille de Mobutu, elle, continue à porter lourdement son patronyme. Sans compter qu’elle craint, sans doute, de rapatrier sa dépouille mortelle de peur d’une profanation possible.

 

Demain, quand tu n’auras plus autour de toi ces terreurs, ces semeurs de la mort, comment voudrais-tu que ta famille et toi-même viviez ?

Sur le qui-vive ?

Reclus en évitant à jamais certains endroits à Paris, à Bruxelles et à Londres?

As-tu pensé qu’un jour, ta fille pourrait croiser les orphelins d’Armand Tungulu ? As-tu pensé à comment elle réagirait à la question : « Pourquoi ton père avait tué papa ? ».

 

Ta femme Olive Lembe s’est toujours prévalue de son attachement à la foi chrétienne, elle était même allée jusqu’à demander au peuple congolais déjà affamé de jeûner pendant trois jours, comment veux-tu que demain l’on ne pense pas qu’elle fait simplement du marketing politique à chaque fois qu’elle professera le nom de Jésus ? L’opinion est naturellement en droit de penser qu’elle s’accommode de sa situation d’épouse d’un président qui tue de sang-froid et qui reste impassible face à la douleur de la veuve et de l’orphelin.

 

Il y a des crimes qui sont imprescriptibles dans la mémoire collective

 

http://www.elengi.com/_files/photo_photo_268.jpg

 

Cher Joseph,

 

Je vais te raconter une anecdote pour te montrer que certains crimes peuvent être imprescriptibles dans la mémoire d’un peuple. La rébellion de 1964 avait assassiné un nombre incalculable de personnes à Kisangani. Dans les années 80, le fils d’un des leaders de cette rébellion avait repris une vie normale dans cette ville où il pensait que les blessures s’étaient refermées. Celui-ci faisait du commerce entre le chef-lieu et l’intérieur de la province orientale où il se rendait en moto. Un jour, un jeune qu’il transportait sur sa moto lui déversa de l’acide sur la tête en représailles aux massacres commis par les rebelles à Kisangani. À tort ou à raison, tes proches pourraient se voir gâcher des moments de convivialité et de tranquillité par des gens qui sursauteront en découvrant leur identité et qui leur rappelleront des choses comme la mort d’Armand Tungulu ou de Floribert Chebeya. Ceux qui s’affichent comme tes fidèles aujourd’hui, leurs femmes, leurs enfants ou petits-enfants ne souffriront pas, eux, des mêmes remarques dérangeantes ou d’agressions verbales ou physiques.

 

Je commence à désespérer et me sens comme trahi.

 

 

Le jour où tu avais été « désigné » pour succéder à ton père, j’animais à Nantes une émission de radio qui évoquait la question. Trois compatriotes qui étaient dans le studio dénonçaient cette « succession monarchique » et pronostiquaient un avenir sombre pour la RDC. Parce que le journalisme n’est pas qu’une affaire d’analyses rationnelles et objectives, je leur avais répondu que pour moi, même si je n’approuvais pas ce mode de succession, tu représentais une chance inouïe pour la RDC. Pour avoir vécu de l’intérieur les grosses erreurs politiques et diplomatiques de ton père tu étais, pour moi, un homme avisé et averti. Enfin, parce que certains te déniaient la nationalité congolaise, j’avais parié que tu t’évertuerais à leur répondre par ton bilan.

 

Ensuite, quand j’ai vu les énormes concessions que tu avais faites à Sun City pour parvenir à la paix et à la restauration de la démocratie, je me suis dit que j’avais vu juste. C’est ainsi que lorsqu’entre les deux tours de l’élection présidentielle, le quotidien français Presse Océan m’avait demandé ce qu’aurait été mon choix, j’avais clairement dit : « Joseph Kabila, car il offre des perspectives crédibles de paix et surtout parce qu’il me semble être celui qui va miser plutôt sur l’intelligence collective des Congolais que sur son charisme ou sur le respect et la crainte qu’il inspirerait ». Mes prises de position n’étaient pas du tout intéressées car je ne louche pas sur un quelconque poste d’autant plus que j’ai opté pour la nationalité française et que je suis opposé à la double nationalité comme je l’ai déjà écrit dans ce même magazine. Et même quand il m’est arrivé de rencontrer fortuitement certains de tes proches collaborateurs, pas une seule fois je n’ai évoqué ces prises de position.

 

Voilà pourquoi, j’ai le sentiment d’être trahi par quelqu’un à qui j’ai fait confiance, que j’ai défendu malgré une hostilité très vive d’une bonne partie de la diaspora. Quand je vois, parallèlement, que l’ambassade de la RDC à Paris est devenue un antre de tortionnaires et qu’elle viole allègrement les droits des Congolais employés ou requérants des documents administratifs sans que tu t’en émeuves, j’ai de plus en plus le sentiment que ce ne sont pas des situations que tu subis. Je commence à désespérer d’un régime dont je critique, bien sûr, les dérives mais dont j’ai applaudi certaines décisions même les plus impopulaires comme l’opération militaire conjointe avec le Rwanda et l’Ouganda.

 

Pour tout cela, je ne te remercie pas.

 

Je n’entends pas qualifier ton pouvoir de sanguinaire même si ce qualificatif ne repose pas que sur un nombre important de crimes, néanmoins la mort de Chebeya et de Tungulu ainsi que la manière dont tu as réagi m’inquiètent pour l’avenir de la RDC, ce pays que nous avons en commun en héritage. Je déplore aussi ce que ces deux drames porteraient comme message d’intimidation, de sommation et de réponse délibérée à diverses formes d’opposition.

 

Je vais m’arrêter là, en te laissant face à ta propre conscience et en te laissant méditer sur ce que tu voudrais qu’on dise, d’une manière unanime à ta fille, à ta femme, à tous les Kabila, quand tu ne seras plus en poste, quand tu ne seras plus en position de force ?

 

Salutations patriotiques.

 

Afrique Échos Magazine

 

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